ÉDITORIAl
NEILA TAZI
Productrice du Festival Gnaoua et Musiques du Monde d’Essaouira
Dans les années 2000, un ami musicien m’a dit un jour : « J’ai tourné dans le monde entier, j’ai joué dans des centaines de festivals mais je n’en ai jamais vu un comme celui-là … Ce que vous avez inventé à Essaouira est rare … Ici, les barrières culturelles volent en éclat et on touche du doigt ce que veut dire concrètement la paix, la communion et la tolérance entre les peuples ».
Nous traversions alors une période difficile où tenir le Festival était, chaque année, une bataille et les paroles de cet ami ont été, au-delà du réconfort, la confirmation que les valeurs que nous défendions depuis toujours étaient perçues de manière juste ; que notre action avait un impact durable et que le Festival devait, coûte que coûte, être pérennisé … Car ce festival « pas comme les autres » a, dès le départ, dépassé le cadre du simple divertissement et eu des fortes répercussions. Il a permis à un art ancestral de renaître et de se réinventer ; a apporté la preuve que le développement par la culture était possible ; a contribué à l’essor d’une destination, Essaouira, qu’il a placée sur la carte des capitales mondiales de la musique ; et est devenu l’un des principaux emblèmes de la culture marocaine et africaine à l’international.
Cette édition est spéciale car nous allons célébrer le 25e anniversaire du Festival Gnaoua et Musiques du Monde d’Essaouira. Et mon émotion est grande quand je repense à l’incroyable épopée artistique et humaine que nous avons vécue pendant ces 25 ans. J’ai beaucoup d’images fortes en tête et je repense aussi à toutes ces femmes et tous ces hommes extraordinairement talentueux qui ont marqué l’histoire du Festival, qu’ils soient artistes, membres de l’équipe, journalistes, sponsors et partenaires publics et privés. Je ne peux pas toutes et tous les citer car la liste est vertigineuse et ce texte ne suffirait pas à la contenir. Mais je tiens à rendre un hommage appuyé au génie de grands Maâlems aujourd’hui disparus : Mohamed Sam, Abderrahman Paca, Hamida Boussou, Cherif Regragui, Mahmoud et Abdellah Guinea.
Il y a 25 ans, nous étions jeunes et fougueux, passionnés par une musique qui était menacée de disparition et nous avions une foi immense en l’avenir. Aujourd’hui, malgré les années, les difficultés et obstacles rencontrés, la fougue et la passion sont intactes et nous sommes plus que jamais tournés vers l’avenir de ce projet si essentiel. Nous avons accompli nos rêves de faire reconnaître et revivifier cette culture, la consécration ultime étant son inscription sur la liste du patrimoine immatériel de l’UNESCO, en 2019. Et nous avons encore des rêves et de grandes ambitions à accomplir pour ce projet.
« La meilleure façon de prédire l’avenir, c’est de le créer », disait un célèbre théoricien du siècle dernier. Faire émerger des nouveaux talents a toujours été l’un de nos objectifs premiers. Au fil des années, nous avons mis en place différents ateliers, formations et programmes en vue d’accompagner et de soutenir les jeunes musiciens. Nous avons mis en avant la nouvelle génération de maâlems, qui a été notamment marquée par l’arrivée de femmes, dans une caste jusqu’ici exclusivement masculine. Cette année, à l’occasion de la 25e édition du Festival, et en vue d’accompagner la nouvelle génération de musiciens en provenance du Maroc, du continent africain et d’ailleurs, nous lançons un nouveau programme de formation avec l’une des plus prestigieuses institutions musicales dans le monde, Berklee College of Music, dont le siège est à Boston, aux États- Unis. Ce partenariat, qui est le fruit de plusieurs années de discussion avec cette prestigieuse institution musicale, est la preuve du sérieux et de la crédibilité dont jouit le Festival à l’international et le début d’une collaboration que nous espérons longue et qui permettra de faire éclore de nouveaux talents.
Autre projet d’envergure dont nous allons lancer la première étape à l’occasion de cette 25e édition : la création d’une chaire universitaire dédiée à la culture Gnaoua au sein du « Center for African Studies » de l’Université Mohammed VI Polytechnique de Benguerir (UM6P), qui est dirigé par le professeur Ali Benmakhlouf. L’objectif de cette chaire, qui verra le jour en 2025, est de créer un espace de recherche en vue d’approfondir les connaissances sur la culture Gnaoua, ses origines et sa signification.
Pour cette 25e édition, nous vous avons concocté un programme hautement qualitatif. Plus de 400 artistes enflammeront les scènes du Festival pendant ces 3 jours de fête gigantesque dans la médina et sur la plage d’Essaouira. Comme chaque année, les Maâlems Gnaoua et leurs invités musiciens venus des 4 coins de la planète créeront des fusions inédites, devenues la marque de fabrique du Festival. Durant ces 3 jours, les festivaliers seront invités à danser sur des rythmes en provenance d’Espagne, du Sénégal, des États-Unis, de Côte d’Ivoire, du Brésil, d’Algérie et de Palestine.
Je voudrais terminer en adressant nos plus vifs remerciements aux médias qui nous ont accompagnés dès la première édition, en 1998, et qui ont grandement contribué au succès du Festival. Nous n’avons pas oublié que lorsque le Festival démarrait et que nous n’avions pas de budget pour communiquer, bien avant l’avènement des réseaux sociaux, ce sont les médias qui ont assuré la promotion et construit la notoriété du Festival au Maroc et à l’international.
Et un grand merci également à tous nos partenaires, anciens et nouveaux, sans qui le miracle de cette prodigieuse aventure ne se reproduirait pas chaque année.
Nous vous donnons donc rendez-vous à Essaouira, du 27 au 29 juin, pour fêter le premier quart de siècle de ce rendez-vous unique au monde !